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vendredi, 26 avril 2024
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La santé Dans Tous Ses Etats

Par Noureddine Cherni

A l’aube de l’indépendance de la Tunisie, Bourguiba, un homme visionnaire, imprégné des valeurs humaines fondamentales, a vite fait de comprendre que la santé de la population et son éducation sont les piliers sur lesquels repose tout développement économique et social, et il a fait en sorte que l’accès à ces deux services soit gratuit.

C’est ainsi que le secteur de la santé a régulièrement amélioré ses performances et son efficience, d’une manière harmonieuse, bénéficiant, avec l’enseignement, d’une priorité incontestable dans tous les plans de développement quinquennaux.

Les indicateurs de santé ont connu de ce fait des améliorations significatives en termes de couverture vaccinale, de mortalité maternelle et infantile, d’espérance de vie, …, et ce, grâce à tous les programmes nationaux mis en place par le ministère de la santé dont on peut citer le programme élargi de vaccination, la santé maternelle et infantile, la lutte contre les maladies à transmission hydrique et la lutte contre certaines d’autres maladies transmissibles comme le paludisme, le trachome et la tuberculose.

Avec l’amélioration des conditions socio-économiques de la population et l’allongement de l’espérance de vie, avec pour corollaire une transition démographique, on a assisté à une transition épidémiologique, puisque les maladies transmissibles ont laissé progressivement place aux maladies dégénératives et autres liées au mode de vie, comme le cancer, l’hypertension artérielle, le diabète, et l’obésité, d’où l’adaptation nécessaire des programmes de prévention et de prise en charge adaptés liés à ces nouvelles pathologies.

Comme dans toute politique de santé, certains déterminants sont essentiels et incontournables pour atteindre les objectifs escomptés ; nous en citerons l’accès à l’eau potable et l’assainissement des eaux usées ; et sur ce plan, un travail appréciable a été accompli durant plusieurs décennies. A la fin des années 2000, cette politique de santé, accompagnée par un financement de près de 6% du PIB, a permis à la Tunisie de se hisser aux premiers rangs des pays africains et de la région MENA.

Il est quand même important de souligner par ailleurs, que le développement concomitant du secteur privé, grâce aux avantages qui lui ont été consacrés dans le code d’incitation aux investissements promulgué en 1993 et aux compétences médicales qui ont fait le choix de s’installer en exercice libéral, a eu pour conséquences l’émergence d’un service à très forte valeur ajoutée, à savoir l’exportation des services de santé avec plusieurs centaines de milliers de patients qui font le choix chaque année de se soigner en Tunisie.

Aujourd’hui, dix ans après la révolution de 2011, force est de constater, avec beaucoup d’amertume, que cet édifice s’est progressivement écroulé, et tous les gouvernements qui se sont succédés depuis cette date ont assisté à cette déchéance avec l’indifférence la plus totale, malgré les discours et les promesses non tenues. Avaient-ils peur de réformer un secteur où les intérêts en jeu sont énormes ? avaient-ils d’autres priorités liées notamment au pouvoir ? Peut-être les deux. Si le secteur privé, malgré ses déboires liés dus à la dégradation de la situation économique et la baisse du pouvoir d’achat du Tunisien, conjugués à la crise engendrée par l’épidémie du COVID, continue à rendre des services acceptables à une frange de la population tunisienne dont les moyens financiers lui permettent de faire ce choix et d’y accéder, ainsi qu’aux patients étrangers, le secteur public connait une crise sans précédent, due notamment à une mauvaise gouvernance, porte ouverte à tous les abus, un laisser-aller, une impunité totale ou presque et une dilution des responsabilités.

 Sur un autre plan, Le mode de financement de la santé est obsolète et il est à revoir en totalité. Les conditions d’exercice sont devenues insupportables pour les médecins qui fuient soit vers le secteur libéral, soit à l’étranger. Les conditions d’hygiène et d’hébergement ne répondent souvent pas aux attentes minimales des patients qui y sont traités, même dans des centres hospitalo-universitaires. On ajoutera à cela l’indisponibilité des équipements, souvent en panne, faute de maintenance et de budget suffisant pour leur réparation.

Bref, un hôpital public censé être la référence dans le paysage sanitaire du pays, un hôpital public où les soins sont supposés être dispensés selon les standards internationaux en termes de qualité et de sécurité, un hôpital qui forme des générations successives de médecins et de personnel soignant et qui se trouve aujourd’hui au bord du naufrage.

Ainsi, aux inégalités sociales qui se sont exacerbées ces dernières années, s’est ajoutée une inégalité flagrante et inacceptable face à la maladie. En effet, l’accessibilité géographique des malades à certains services essentiels non disponibles à proximité, nécessitant souvent des déplacements longs, fatigants et coûteux, est conjuguée au problème de l’accessibilité temporelle. En effet, l’accessibilité dans le temps est fondamentale et elle est considérée comme l’un des déterminants de la qualité de la prise en charge, puisque les citoyens qui ne sont pas nantis et n’ont aucun autre choix que de continuer à fréquenter les hôpitaux publics avec tous les désagréments qu’ils sont obligés de subir, ne peuvent souvent obtenir des rendez-vous pour des explorations spécialisées ou des soins parfois vitaux, comme la radiothérapie, que dans des délais trop longs. Or, il est évident que tout retard dans la prise en charge d’une pathologie ne peut se traduire que par une diminution des chances de guérison.

Accessibilité géographique, accessibilité financière et accessibilité temporelle sont les ingrédients d’une inégalité de la population face à la maladie. Il s’agit là d’une problématique à laquelle il faudra apporter des solutions à court et moyen termes pour éviter que la grogne ne se transforme en d’autres formes d’expression d’un ras le bol, et la pandémie du COVID a encore exacerbé les dysfonctionnements et mis à nu les insuffisances du système.

Que faut-il faire ?

Devant une telle situation, et à notre humble avis, il faudrait tracer les grands axes d’une réforme qui ne demanderait pas beaucoup de temps à se mettre en place avec une priorisation des actions :

  • Repenser fondamentalement le mode de financement de la santé et particulièrement le financement de l’hôpital public, puisque le modèle actuel a montré depuis longtemps ses limites.
  • Mettre en place un système d’information performant qui permettra :
    • Aux structures sanitaires des différents niveaux de gérer leurs ressources d’une manière rationnelle et d’avoir des tableaux de bord instantanés
    • De limiter au maximum les détournements de biens publics et les dérapages constatés en généralisant par exemple la dispensation nominative des médicaments et des dispositifs médicaux qui occupent une part très importante dans le budget de l’hôpital
    • Aux décideurs d’allouer aux régions et aux structures sanitaires qui leur sont rattachées des moyens correspondant à leurs besoins réels, et d’avoir des données plus fiables avec des indicateurs sans lesquels aucune planification ne saurait être crédible.
  • S’attaquer au problème chronique de la maintenance, puisque l’une des grandes insuffisances des hôpitaux publics est le manque flagrant de budget consacré à la maintenance des bâtiments et des équipements.

Chaque année, des investissements conséquents sont réalisés tant au niveau de l’infrastructure, que celui des équipements médicaux et autres rattachés aux services communs. Seulement, il est malheureux de constater que le taux annuel de disponibilité fonctionnelle des équipements est très bas et les bâtiments subissent une dégradation rapide de leur état à tous les niveaux, de la première ligne à l’hôpital universitaire.

Tout cela est dû essentiellement à l’insuffisance manifeste du budget de maintenance, mais également à l’absence de stratégie de maintenance préventive claire puisqu’il est aisé de constater que les ressources humaines qualifiées, ne serait-ce que pour une maintenance préventive et curative basique, font souvent défaut et si elles existent, elles n’ont aucune obligation de résultat ou une redevabilité quelconque.

Le résultat est sans appel, avec des équipements non fonctionnels qui s’entassent dans les hôpitaux, avec des répercussions directes et évidentes sur les délais de réalisation des explorations ou des soins : délais de rendez-vous inacceptables pour les malades en ambulatoire et allongement des durées de séjour pour les malades hospitalisés avec leur répercussion sur les coûts.

  • Remettre sur la table, avec plus d’efficacité et de pertinence, le concept des grandes régions sanitaires dans lesquelles chaque citoyen verra ses attentes et besoins en explorations et soins satisfaits à plus de 90%. Dans chacune de ces régions ou pôles sanitaires, tous les moyens diagnostiques et thérapeutiques, ou presque, seront disponibles. Il va sans dire que ces régions ne pourront remplir leur rôle que si les médecins spécialistes dans les différentes disciplines médicales et chirurgicales sont disponibles.

Pour compléter ce dispositif, des moyens de transport médicalisé et non médicalisé fonctionnels et en nombre suffisant devront être disponibles pour un transfert rapide des patients entre les différents pôles de spécialités au sein de la même grande région chaque fois que cela est nécessaire.

  • Il est important de faire de la notion de complémentarité entre les secteurs public et privé une réalité concrète et palpable, une complémentarité intelligente au service du citoyen. Cette approche globale se traduira, d’une part, par un élargissement de la palette de l’offre de soins quand ceux-ci, pour une raison ou une autre ne sont pas disponibles dans l’un des secteurs et, d’autre part, par une optimisation des ressources humaines spécialisées et des plateaux techniques où qu’ils soient.
  • D’ailleurs, le secteur privé qui est, n’en déplaise à certains, une composante fondamentale de notre système de soins, a également besoin d’être repensé, mieux encadré et plus soutenu dans ses efforts de recherche de parts de marchés à l’international. Le dossier de l’exportation des services de santé qui a été mis de côté pendant une dizaine d’années doit passer à la vitesse supérieure. La concrétisation de la stratégie définie dans l’étude menée à cet effet il y a environ sept ans a beaucoup tardé, et la Tunisie a, encore une fois, raté le coche, puisque plusieurs pays de la région se trouvent aujourd’hui propulsés aux premiers rangs en termes de tourisme de santé.
  • Enfin, on ne peut pas imaginer des transformations réussies sans évoquer le volet relatif aux ressources humaines. Dans ce domaine combien sensible et stratégique qu’est la santé, nos compétences médicales, paramédicales et techniques ne sont plus à démontrer. La preuve nous en est donnée au quotidien par l’afflux des patients étrangers qui nous font confiance et viennent se soigner en Tunisie, mais également par l’appel des pays arabes et européens à nos compétences qu’ils apprécient au plus haut point.

Ceux qui ont fait le choix de continuer à exercer dans le secteur public, et ils sont à encourager, doivent être revalorisés en améliorant avant tout leurs conditions de travail, en leur accordant l’écoute nécessaire, en les faisant participer davantage à la prise de décisions et en améliorant leurs conditions de rémunération.

Ce sont là les grandes lignes d’une réforme urgente qui nécessitera la conjonction des efforts de toutes les parties prenantes aussi bien celles appartenant au secteur de la santé, mais également des finances, des affaires sociales avec la caisse nationale d’assurance maladie dont elle est la tutelle, ainsi que les partenaires sociaux.

On a mis 50 ans pour construire un système en amélioration constante et seulement quelques années pour le mettre à mal. Il est temps de réagir et de sauver l’une de nos fiertés nationales.

Noureddine Cherni
Médecin De Formation | Plus de publications

Médecin de formation, l'exercice dans les structures sanitaires de première ligne pendant cinq ans dans différentes régions du pays, puis les fonctions que j'ai occupées au sein du ministère de la santé durant vingt-deux années, d'abord à l'inspection médicale, puis en tant que premier responsable de la structuration, de la mise en place du dispositif réglementaire et de la gestion des activités du secteur libéral, m'ont permis d'avoir une vision claire et complète du système de soins. Depuis 2008, j'ai occupé différents postes de responsabilité dans deux groupes d 'établissements sanitaires privés et continué à participer à de nombreux projets et études financés par des bailleurs de fonds internationaux en tant que consultant.

Noureddine Cherni
Médecin de formation, l'exercice dans les structures sanitaires de première ligne pendant cinq ans dans différentes régions du pays, puis les fonctions que j'ai occupées au sein du ministère de la santé durant vingt-deux années, d'abord à l'inspection médicale, puis en tant que premier responsable de la structuration, de la mise en place du dispositif réglementaire et de la gestion des activités du secteur libéral, m'ont permis d'avoir une vision claire et complète du système de soins. Depuis 2008, j'ai occupé différents postes de responsabilité dans deux groupes d 'établissements sanitaires privés et continué à participer à de nombreux projets et études financés par des bailleurs de fonds internationaux en tant que consultant.