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vendredi, 29 mars 2024
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La Souveraineté, Nouvelles Conceptions! Nouvelles politiques!

Par Hakim Ben Hammouda

            Notre monde est traversé depuis quelques années par des changements et des transitions sans précédent. La digitalisation, la globalisation, les impératifs de l’inclusion et du développement durable sont en train de façonner une nouvelle réalité économique et financière globale. Ces transformations et ces mutations ont été renforcées récemment par les effets de la pandémie du Covid-19 qui a accéléré les changements en cours dans le monde.

 Ces mutations et ces transformations ne se sont pas limitées au contexte et aux réalités économiques. Mais, elles ont également touché les conceptions et les visions économiques ainsi que les politiques et les grands choix mis en place par les pays. Ainsi, les politiques publiques ont-elles évolué au gré des grandes crises d’une confiance totale et sans retenue dans les forces du marché après les grandes crises des années 1980 et la contre-révolution néo-libérale des années 1990 vers une plus grande régulation de l’ordre marchand, suite aux dérives des apprentis sorciers, sur les marchés financiers avec la crise de 2008.

Les transformations et les changements ont également touché les politiques économiques et le conservatisme qui les a marquées des années durant. Ainsi, la neutralité des politiques budgétaires, qui était au centre du consensus économique des années 1990, a laissé la place à des politiques de relance sans précédent pour faire face aux récessions que l’économie globale, et particulièrement les pays en développement, sont en train de traverser. Les changements ont également touché les politiques monétaires qui sont passées du caractère restrictif pour faire face aux tensions inflationnistes, à un expansionnisme sans limites pour aider les économies à sortir de leur marasme.

Ainsi, le monde de la réflexion économique et des politiques économiques est-il aujourd’hui en train de connaître de grandes transformations et des changements sans commune mesure avec les pratiques et les choix d’antan. C’est une véritable révolution qui est en train de prendre place devant nos yeux et qui transforme le monde des. Cette révolution à marche forcée a été accélérée par la pandémie du Covid-19 qui a largement contribué aux changements des pratiques et des choix économiques.

Cette révolution épistémologique touche également les grandes visions de l’économie et les grandes conceptions dont la question de la souveraineté qui n’a pas résisté à l’évolution du monde et aux grandes mutations de notre univers.

Il faut dire que la question de la souveraineté a été dominée par une conception traditionnelle et classique. Cette vision est un héritage des traités de Westphalie du 24 octobre 1648 après la guerre des trente ans, et qui ont dominé les relations internationales et ont imposé une certaine vision de la souveraineté en général, et de la souveraineté économique en particulier. Dans cette vision, la souveraineté est le contrôle et la domination de l’Etat sur l’ensemble des activités qui se déroulent sur le territoire national. Ce contrôle se fait par le biais des choix de politique économique, les lois et les règles en vigueur dans les différents domaines de l’activité économique. Ainsi, les réglementations douanières permettent aux Etats d’exercer un contrôle strict sur les flux des échanges commerciaux avec l’étranger. Par ailleurs, la réglementation dans les domaines de l’investissement favorise également une grande protection des investisseurs nationaux par rapport aux étrangers. Dans ce contexte, les politiques économiques, et particulièrement les politiques de monétaire, budgétaire et de change avaient une grande efficacité, et les banques centrales comme les gouvernements pouvaient user des instruments de ces politiques pour exercer leur souveraineté économique.

Cette conception traditionnelle de la souveraineté économique a dominé le monde et s’est imposée au lendemain des révolutions industrielles et de l’avènement du capitalisme à partir de la seconde moitié du 19ième siècle. Cette conception n’interdisait pas le développement des activités économiques en dehors de l’espace national, notamment par le biais du commerce extérieur ou des investissements à l’étranger mais elle imposait un contrôle strict des activités économiques au sein de l’Etat-nation. Cette conception va aussi dominer les trente glorieuses après la seconde guerre mondiale.

Mais, la fin de cette période de croissance forte dans le monde, et l’entrée dans une longue phase de turbulences économiques à partir du milieu des années 1970, va connaître un essoufflement de cette conception traditionnelle de la souveraineté. Plus particulièrement trois grandes évolutions économiques seront à l’origine de cet essoufflement de l’émergence d’une nouvelle conception de la souveraineté. La première évolution concerne la globalisation qui va s’accélérer, particulièrement à partir des années 1990, et qui va imposer un dépassement des frontières des Etats-nations dans les dynamiques économiques. Les stratégies des grandes firmes vont sortir des marchés nationaux et les chaînes de valeur vont se déployer sur la planète entière.

La seconde évolution qui a remis en cause la conception classique de la souveraineté économique concerne l’émergence des défis globaux dont le changement climatique, la pollution, et tout récemment les grandes pandémies qui ne peuvent trouver de réponses à l’échelle nationale. Ces défis sont à l’origine d’une plus grande coopération entre les nations et la recherche de biens publics mondiaux pour protéger la planète et défendre l’humain.

La troisième grande évolution qui a marqué les dernières années, et qui a remis en cause les visions traditionnelles de la souveraineté, est liée au développement rapide de l’intégration régionale. Or, ces dynamiques de coopération régionale ont ôté aux Etats-nations une grande partie de leurs prérogatives économiques et de leurs instruments de politique économique dont la politique monétaire au profit des banques centrales régionales, des politiques fiscales et une grande partie des politiques budgétaires.

            Ainsi, la souveraineté classique et traditionnelle a disparu au profit de nouvelles conceptions et de nouvelles formes. Ainsi, les nouvelles formes de la souveraineté s’expriment-elles aujourd’hui dans la définition des grands choix et des grands choix, dans la prospective, dans les politiques de l’innovation et de l’éducation. Ainsi, la souveraineté n’est plus dans le contrôle et la maîtrise des frontières physiques du territoire. Aujourd’hui, la souveraineté demande à repousser les frontières du savoir et à soulever les contours de l’intelligence à venir.

La conception de la souveraineté a été touchée par les ruptures épistémologiques en cours. Notre pays doit rompre avec des conceptions traditionnelles de la souveraineté et inscrire nos choix de politique économique dans la nouvelle ère de la souveraineté de l’intelligence et du savoir.

Hakim Ben Hammouda
économiste | Plus de publications

Ancien Ministre de l’Economie et des Finances

Il est titulaire d'un doctorat en économie internationale de l'Université de Grenoble et du diplôme national d'habilitation à diriger la recherche, remis par la même université.

Avant sa nomination, Hakim Ben Hammouda occupait le poste de  Conseiller Spécial du Président de la Banque africaine de Développement (BAD).

De 2008 à 2011, il était le Directeur de l'Institut de Formation et de la Division de la Coopération Technique à l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC).

Hakim Ben Hammouda
Ancien Ministre de l’Economie et des Finances Il est titulaire d'un doctorat en économie internationale de l'Université de Grenoble et du diplôme national d'habilitation à diriger la recherche, remis par la même université. Avant sa nomination, Hakim Ben Hammouda occupait le poste de  Conseiller Spécial du Président de la Banque africaine de Développement (BAD). De 2008 à 2011, il était le Directeur de l'Institut de Formation et de la Division de la Coopération Technique à l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC).